mercredi 25 mai 2011

Requiem à l'anis

« Bordel je leur dis à chaque fois que je bosse pas le matin et à chaque fois c'est le même cirque. »

La grande silhouette balança le téléphone sur le vieux canapé en sky défoncé puis repartit à pas lents et mal assurés vers la chambre ponctués par un bruit sourd et un juron claquant au passage de l'entrebâillement de la porte.

Deux longues minutes plus tard, l'homme réapparu vêtu d'un jean noir délavé et d'une chemise rouge foncé à manches longues. Il se dirigea vers la table basse sous la fenêtre en maugréant et  en boitant légèrement du pied gauche.

« Je t'en foutrais des dealers qui payent pas à six heures du mat' ! Nan mais quelle connerie. Et bien sur plus de clopes. »

Toujours en grognant, il repartit vers la longue table en bois noir qui mangeait une grande partie de la pièce. En écartant plusieurs lettres encore cachetées et quelques boites de pizza, il finit par dénicher un paquet de Lucky et en tira une cigarette tordue qu'il alluma avec empressement. Il souffla longuement la fumée et parcouru la pièce du regard à la faible lueur du jour qui filtrait par les stores. Semblant commencer à émerger grâce à l'aide de la nicotine, il parut légèrement agacé par le  bazar qui régnait dans la pièce. A moins que ce ne soit de l'amusement.

« A 37 ans, il serait temps que je me trouve une bonne femme pour faire le ménage. Ça commence vraiment à craindre. Même les pouffiasses que je ramène du Rogers voudront bientôt plus foutre les pieds là-dedans. »

Retournant vers la table pour lâcher sa cendre dans un cendrier plein à ras bord, il avisa un verre de Pastis à moitié plein et entreprit de trouver un glaçon pour lui refaire une jeunesse. Ça compléterait son petit déjeuner avant d'aller bosser.

Son amour pour l'alcool laiteux lui avait valu le surnom de Tueur à l'Anis. Ils étaient même un bon paquet à croire qu'il était marseillais. Pourtant, sa tête de blanc bec normand n'allait pas vraiment pour étayer cette thèse. S'il restait une chose qui le liait encore à son passé, c'était bien son visage presque imberbe parsemé de tâches de rousseurs pâles. Malgré les quelques marques qu'avait laissé son métier, il faisait toujours 10 ans de moins que son âge. Difficile de croire que le gentil petit informaticien à lunette était devenu ce tueur froid et craint, et s'il revoyait ses amis de l'époque, ils auraient vraiment du mal à croire l'historie qu'il l'avait amené à devenir l'homme qu'il était maintenant.

Après avoir sifflé son verre d'un trait, il le claqua sur la table et le tintement des glaçons l'accompagna jusqu'au porte manteau où il attrapa une courte veste de motard en cuir élimée. Tirant une dernière bouffée sur sa cigarette, il la lança d'une pichenette dans la direction du cendrier et fit tourner la clef dans la serrure de la porte d'entrée.

« Ah merde ! Si je pars sans pétoire, je vais pas aller loin. »

Ouvrant une boite fixée au mur, il saisit un 45 et ouvrit le chargeur pour vérifier qu'il était fournit. Six balles pour deux dealers, ça suffirait largement. Il ouvrit enfin la porte et sorti en la claquant derrière lui.

La pièce retomba dans la torpeur tiède à laquelle son propriétaire n'avait laissé de son passage qu'un fin nuage de fumée et deux glaçons qui fondaient doucement dans un verre vide.

Soudain, déchirant le silence calme de l'aurore grise de ce matin de novembre, deux coups de feu retentirent dans la cage d'escalier. Le bruit de la chute d'un corps fut accompagné par celui de deux hommes qui dévalaient les escaliers en courant.

Le Tueur à l'Anis avait été surpris par quelques ennemis rancuniers et venait de boire son dernier verre. Dans son appartement, le cliquetis d'un glaçon tombant au fond du verre sonna le retour au calme, tandis qu'à quelques mètres de là, derrière la porte, un filet de sang coula doucement par la bouche du long corps maigre qui reposait stupidement en travers des marches.

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